Les favoris de Mélanie Mougin :
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Hilton Tims, Erich Maria Remarque, le dernier romantique, traduit par Jean-Marc Mouillie, Les Belles Lettres, broché, 336 pages, 23 €.
La biographie de Hilton Tims éclaire de manière sobre et saisissante l’étonnante vie de celui qui fut confronté directement, et qui s’opposa, aux deux tragédies que furent la Grande Guerre et le nazisme, qui lia son destin à certaines des femmes les plus flamboyantes, émouvantes et célèbres de son époque, Marlène Dietrich en tête, et qui ne cessa de s’attacher à témoigner du destin des existences jetées dans la violence de l’histoire.
Au sujet d’À l’Ouest rien de nouveau : « Mais en Allemagne, à la différence de ce qui se passait ailleurs, le livre fit rapidement l’objet d’une controverse littéraire et politique, agitant l’opinion et attirant sur lui les foudres des conservateurs militaires et nationalistes de la « vieille garde » en raison du caractère défaitiste et de la description sans gloire du soldat allemand qu’ils y lisaient. Remarque décrivait la vie des tranchées telle qu’il l’avait observée, avec un réalisme cru et des passages d’allure documentaire. Le style de l’écriture, sèche, sobre, sans concession, souvent choquante, innovait dans le récit de fiction. À bien des égards, il annonce le style qu’Ernest Hemingway fit sien dans son propre roman sur la Première Guerre mondiale, L’Adieu aux armes, publié neuf mois plus tard aux États-Unis. Même avec un recul de cent ans, les descriptions que Remarque fait du conflit et des blessures physiques et psychologiques de ceux qui en furent victimes restent aussi frappantes que poignantes. Il apparut comme le porte-parole de tous les soldats entraînés dans ce conflit et c’est cette universalité qui le fit reconnaître des lecteurs, quels que soient leur rang et leur origine sociale.
Ce fut également cet aspect, jugé subversif, qui joua dans les accusations politiques dont il fit l’objet. Elles n’émanèrent pas seulement de la droite. À gauche également le livre fut attaqué, ainsi que son auteur, pour défaut de position politique claire ou pour ne pas mettre en cause la politique économique et sociale des classes dirigeantes.
Dépassé par l’ampleur de son succès, Remarque fut totalement pris au dépourvu par la controverse qu’il provoqua et la virulence des attaques le visant personnellement, en particulier celles de ses collègues écrivains à l’évidence animés de jalousie professionnelle.» p.92
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Aux sources de la Méditerranée antique, sous la direction de Mathilde Carrive, Marie-Adeline Le Guennec, Lucia Rossi, Presses Universitaires de Provence, Collection Héritages méditerranéens, broché, 290 pages, 28 €.
Divers spécialistes de l'Antiquité s'interrogent sur la méthode à suivre pour constituer et exploiter un ensemble de sources, indispensable à toute démarche scientifique. Trois grands axes sont développés : la mise en place du corpus documentaire, le croisement des informations, y compris dans une approche pluridisciplinaire, et la distance que doit observer le chercheur vis-à-vis d'elles.
« Attestée avec certitude dès le dernier quart du IIe s. av. J.-C., la présence d’acteurs économiques occidentaux en Égypte se renforça et se diversifia au cours du Ier s. av. J.-C. : aux bénéfices tirés du commerce maritime et de son financement s’ajoutèrent les gains découlant de la propriété foncière et de son exploitation. Ce processus se réalisa dans un contexte politique favorable, scellé par l’établissement de rapports de clientèle et de patronage entre les deux pays. Les sources littéraires permettent de préciser les cas d’interaction et d’interférences entre le volet politique et le volet économique des rapports Romains-Lagides : tel est le cas des allusions de Cicéron se référant à la loi agraire de P. Servilius Rullus en 63 av. J.-C ou bien encore des faits relatés par Plutarque et Suétone au sujet de la proposition de loi avancée par Crassus en 65 av. J.-C. . Ces deux projets de loi qui préconisaient, d’une part, la vente des terres égyptiennes pour le financement de la loi agraire et, d’autre part, l’annexion de l’Égypte à des fins fiscales ne furent jamais votés et la création d’un système provincial ne s’acheva qu’en 30 av. J.-C. Or si les sources littéraires ne permettent pas de préciser les secteurs de la vie économique égyptienne intégrés par des citoyens romains à l’époque républicaine, la documentation papyrologique en revanche montre clairement qu’au milieu du Ier siècle av. J.-C., les Romains faisaient désormais partie du milieu socio-économique des grands propriétaires fonciers, qui jusqu’alors était l’apanage des Grecs et des Macédoniens d’Alexandrie. » Lucia Rossi, Les Romains en Égypte et la propriété foncière, p.187-188.
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Jérôme Baschet, Les justices de l'au-delà. Les représentations de l'enfer en France et en Italie (XIIe-XVe siècle), préface de Jacques Le Goff, École française de Rome, coll. Classiques de l'École Française de Rome, broché, 732 pages, 25 €.
Une étude sur l'enfer envisagé comme l'un des grands faits sociaux de l'époque médiévale. L'accent a été mis sur l'iconographie (sculptures, fresques, miniatures), tout en considérant la théologie du châtiment éternel, les visions de l'au-delà, les représentations théâtrales, la littérature morale et des exemples de prédication.
« Ainsi en tant que lieu propre des puissances diaboliques, l’enfer s’assure une présence scénique dans de nombreuses représentations dont le thème n’implique pourtant aucune évocation infernale. Cette polarisation traduit matériellement, dans l’espace scénique, la fonction d’opposant que les Mystères attribuent aux forces démoniaques.Sous quelle forme l’enfer est-il alors montré ? Si un élément architectural intervient fréquemment, laissant parfois apparaître les ruines d’une tour délabrée, c’est la gueule qui constitue l’élément le plus caractéristique. Ainsi, dans le Mystère de l’incarnation, joué à Rouen en 1474, l’enfer est « faict en manière d’une grande gueulle, se cloant et ouvrant quand besoin est ». Elle comporte des éléments en étoffe ou en cuir peint (en particulier ceux qui permettent aux diables d’entrer ou de sortir de la gueule) ajoutés sur une structure maçonnée pouvant résister au feu. Des dispositifs accessoires permettent parfois aux démons de sortir par les oreilles du monstre, de faire jaillir des flammes, de produire fumée, puanteur et vacarme.
En Italie, il ne semble pas que la gueule ait eu le même succès. La grotte constitue l’unique élément de décor dans la laude ombrienne, et il semble que l’enfer ait été, tout comme les limbes, figuré ainsi. Ce n’est que dans les « Sacre Rappresentazioni » de la seconde moitié du XVe siècle que l’on voit apparaître la gueule de Léviathan, c’est-à-dire au moment même où elle se développe dans l’iconographie de l’Italie du Nord. Un parallèle peut ainsi être établi avec l’iconographie, puisque celle-ci témoigne également d’une opposition entre la France, où la gueule est employée couramment, et l’Italie, où elle n’apparaît que de façon limitée, et surtout à la fin de notre période. » p.462-463.
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Les favoris de Gaëtan Flacelière :
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Paul Zumthor, La mesure du monde. Représentation de l'espace au Moyen Âge, Seuil, coll. poétique, broché, 456 pages, 33.50 €.
La perception que nous avons de l'espace est fortement influencée par notre environnement culturel. Celle-ci a évolué tout au long des dix siècles qui nous séparent du Moyen Age. C'est l'histoire de cette mutation prodigieuse de l'Occident qui est retracée à l'occasion de cette publication.
Extrait : « Un rapport très personnel s’établit entre le voyageur et son cheminement. L’Europe d’avant le XVIIIe siècle ignore les « routes » au sens banal que nous prêtons à ce mot : moyen de joindre deux points extrêmes qui suffisent à définir sa fonction, l’espace entre eux se trouvant dévalorisé et ne comptant que si la publicité touristique s’en mêle. Ainsi, nos routes séparent autant qu’elles unissent. Le chemin médiéval, au contraire, profondément inscrit dans la mémoire de chacun, dans les traditions locales, est hommage à l’espace : chaque tronçon en invite à la halte et porte une signification originale – originaire. Chaque carrefour ouvre sur un horizon mythique. S’y fonde une « vénérabilité diffuse des parcours », selon l’expression de A. Dupront. De village en village, le chemin est série ordonnée de lieux ; mais, en lui-même, il est lieu ; milieu aussi, autant que voie que communication. Il est ait d’abord pour le piéton, l’âne ou la mule, le cheval de bât ; moins aisément pour le charroi ; à peine pour le chevalier dont le destrier en armes coupera plutôt à travers champs, landes et guérets. Il progresse à la manière d’un ruisseau, que ses méandres n’empêchent pas de garder tant bien que mal une direction générale. L’homme, l’animal y marchent ; corps debout, dans l’espace nu, et qui, mettant un pied devant l’autre, en font la découverte musculaire et visuelle, laquelle est emprise ; engagement physique total, exigé par le mouvement orienté et comme polarisé vers un but qui est un lieu. Tant de valeurs, intégrées à l’idée même de chemin, restent, on peut le penser, sous-jacentes aux motivations politiques et économiques poussant certains rois à s’intéresser à l’entretien et à la sécurité des voies qui traversent leurs terres ; marque spatiale de domination. » (p. 173-174)
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Henry Bardon, La littérature latine inconnue, préface de Pierre Laurens, Klincksieck, coll. Librairie Klincksieck – Série Littérature, 2 volumes reliés sous coffret, 734 pages, 99 €
Une synthèse érudite publiée en 1952-1956 et à nouveau disponible sur la littérature latine jusqu'au Ve siècle, qui met en avant des vestiges, fragments et souvenirs de grands noms, retrouvés au détour d'une citation ou d'une référence. Parmi eux figurent des poètes comme Mécène, Messalla ou Asinius, et des tragédiens comme Ennius.
Extrait : « Effaçant tous ses rivaux par ses dons admirables, Cicéron apparaît presque seul. La réalité fut différente : ne soyons pas dupes du génie.
Le néo-platonisme, le stoïcisme, l’épicurisme captivaient toujours les Romains. Cicéron, qui se plaît à évoquer, dans les Tusculanes, le zèle philosophique d’un contemporain de Lucilius : Tibus Albucius, reconnaît que, de son temps, ce goût n’a pas faibli. Dans ses premières Académiques, il choisit pour interlocuteur L. Lucinius Lucullus ; ce grand général, adepte de l’école académicienne, avait attiré auprès de lui Antiochos, disciple de Philon, - suivant l’exemple de Scipion Emilien, qui avait eu pour amis Polybe et, surtout, Panétius.
Au premier livre du De Finibus, Cicéron a comme interlocuteurs L. Manlius Torquatus, Q. Lucilius Balbus et C. Valérius Triarius. Eux non plus, ils ne s’étaient pas contentés de connaissances superficielles : leur culture englobait la philosophie autant que la littérature, les sciences ou le droit. Au livre III, c’est Caton l’Utique, le stoïcien, qui provoque les réponses de Cicéron. Ses convictions étaient assez fermes pour qu’il s’entourât de philosophes grecs d’écoles diverses. Au cours de sa vie agitée, il eut auprès de lui Athénodore, Antipater, Philostrate, Apollonidès et Démétrios.
Ces Grecs connaissaient à Rome même une faveur soutenue. L’on apprécie leur intelligence, et ils perpétuent en terre latine les grands penseurs de l’Hellade. » p. 203
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Chrétiens persécuteurs. Destructions, exclusions, violences religieuses au IVe siècle, sous la direction de Marie-Françoise Baslez, Albin Michel, coll. Bibliothèque historique, broché, 400 pages, 25 €.
Au IVe siècle, le christianisme passe de religion minoritaire et persécutée à religion tolérée et tolérante, puis officielle et parfois répressive. A partir de Constantin Ier, des persécutions sont exercées contre des chrétiens hérétiques, les païens et les juifs considérés comme des ennemis de l'intérieur. Les études ici réunies invitent à réfléchir sur la notion même de persécution.
Extrait : « La mort de Julien a plongé Libanios dans un immense chagrin, causé non seulement par la disparition d’un homme qu’il aimait et admirait, mais par les sombres perspectives qui s’ouvraient pour la vie intellectuelle et la prospérité de la religion païenne. Libanios ne met pas en avant des craintes personnelles et le fait est que son comportement parfaitement honorable sous le règne de Julien était de nature à lui valoir le respect des ennemis de l’empereur disparu : il avait avec constance plaidé la cause d’Antioche auprès d’un Julien ulcéré et il était intervenu plusieurs fois auprès de différents responsables en faveur de chrétiens menacés de confiscation parce qu’ils avaient fait bâtir en utilisant des matériaux pillés dans des temples ; à l’occasion, il avait conseillé d’éviter de réprimer trop brutalement les chrétiens coupables au risque de leur donner une popularité excessive, comme dans le cas de Marc d’Aréthuse. Mais tous ses adversaires n’étaient pas prêts à lui pardonner et Libanios a conscience qu’il lui faut désormais, comme à ceux dont la solidarité avec Julien était avérée, faire preuve de prudence : il y a des propos, écrit-il, qu’il est dangereux de tenir. D’un autre côté, faire l’éloge du grand homme qui vient de disparaître est un devoir. Libanios semble avoir échappé à cette double contrainte en écrivant la Monodie sur Julien sans la publier, c’est-à-dire en veillant à ce qu’elle ne fût communiquée qu’à des lecteurs sympathisants. » (p. 266-267)
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